Dans un secteur encore largement dominé par les hommes, les femmes et les minorités de genre qui travaillent dans la tech se retrouvent souvent isolées. C’est de ce constat qu’est né Chtite Dev : un collectif régional basé à Lille, qui rassemble des développeuses, ingénieures et programmeuses autour de rencontres en non-mixité choisie. Leur objectif : créer un espace où la parole est libérée, favoriser l’entraide et questionner les biais sexistes du secteur.

Une initiative née d’un simple message sur le réseau social  Mastodon

Tout a commencé avec un post anodin sur Mastodon. Marie, l’une des cofondatrices, a simplement demandé s’il existait d’autres femmes en informatique souhaitant se réunir sur Lille. À sa grande surprise, son message a été relayé 170 fois, révélant un besoin criant de sororité et d’échanges dans la communauté tech locale. Très vite, elle est mise en contact avec Laëtitia, Lan, et les premières réunions sont organisées. Lan, qui avait déjà participé à un événement des Duchess France à Paris, souligne qu'à Lille, aucun réseau similaire n’existait. « Quand j’allais à des meet-ups tech, il y avait à peine une ou deux femmes présentes. C’était frustrant », explique-t-elle. Grâce à Chtite Dev , elle a pu contribuer à structurer un véritable réseau et donner plus de visibilité aux femmes de la tech lilloise.

Pourquoi des réunions en non-mixité choisie ?

La non-mixité choisie, qui permet aux femmes et minorités de genre (personnes trans et non-binaires) de se retrouver entre elles, est une pratique courante dans les pays nordiques. Inspirée par son expérience en Suède, Marie a proposé ce format qui permet une libération de la parole. Dans un environnement de travail où les femmes sont souvent minoritaires, certaines n’osent pas prendre la parole, ou voient leurs propos ignorés. « Lorsqu’on est la seule femme dans une équipe de dix hommes, il n’est pas rare qu’on ne nous laisse pas parler », témoigne Lan. Ces réunions permettent donc non seulement de discuter des problèmes rencontrés dans la profession, mais aussi de se former sur des sujets techniques en toute confiance.

Une barrière à l’embauche pour les femmes de la tech

L’un des constats majeurs soulevés par Chtite Dev  est la difficulté pour les femmes d’accéder au marché du travail dans l’informatique. « Les premières écartées en période de crise sont les femmes et les personnes issues de la diversité », déplore Laëtitia. Pourtant, de nombreuses femmes se lancent dans des reconversions professionnelles, investissent plusieurs années dans des formations tech… pour finalement se retrouver sans emploi ou devoir s’expatrier.

Un secteur qui perpétue ses propres biais

Marco ProiettoLe sexisme en informatique ne se limite pas au recrutement. Il est également présent dans les technologies elles-mêmes. Läetitia partage un exemple frappant : lorsqu’elle a demandé à Bing Designer de générer une image d’une équipe d’ingénieurs logiciels, l’outil n’a produit que des hommes asiatiques, avec une seule femme. Marie, quant à elle, souligne la pauvreté des références culturelles dans le milieu : « Lorsqu’on parle de NLP (traitement du langage naturel) en conférence, on cite toujours les mêmes références : Matrix, Star Trek, Harry Potter.

C’est un univers totalement homogène qui empêche d’autres profils de s’y reconnaître et d’y entrer. » Et que dire des biais directement inscrits dans le code ? « À une époque, Windows contenait des variables appelées "boobs", preuve que le niveau de professionnalisme laissait parfois à désirer », raconte Laëtitia.

Si Chtite Dev  ne prétend pas réformer le système éducatif, ses membres sont convaincues qu’un changement est possible. Certaines interviennent déjà dans des écoles et collèges pour inciter les jeunes filles à s’orienter vers la tech. Mais surtout, le collectif prouve qu’il est possible de créer un réseau solide de femmes expertes, capable de réunir 20 développeuses autour de sujets pointus, alors que les meet-ups classiques peinent à attirer plus d’une ou deux femmes. Chtite Dev est donc plus qu’un simple groupe de discussion.C’est une démonstration par l’action : oui, les femmes ont leur place dans la tech, et oui, elles peuvent exceller dans ce domaine.

Et si le problème ne venait pas du manque de femmes, mais de l’incapacité du secteur à les intégrer ?

À travers leurs rencontres et leurs échanges, les membres de Chtite Dev  mettent en lumière un point essentiel : ce ne sont pas les femmes qui manquent dans la tech, mais bien les opportunités et les conditions favorables à leur intégration.

Alors, combien de temps faudra-t-il encore attendre avant que le secteur prenne réellement conscience de ses propres biais et agisse pour une véritable inclusion ?

📢 Pour en savoir plus, écoutez l’interview complète réalisée par Radio PFM 

Retrouvez Chtite Dev sur LinkedIn et Mastodon et participez à leurs événements sur la métropole lilloise ou en visioconférence.

Cet article s’inscrit dans le cadre de l’émission "ÉCHOS DES ONDES", diffusée chaque 4éme mardi du mois sur radio Campus Lille.de 16:00 à 17:00.

À travers cette chronique, nous prolongeons notre exploration de l’actualité culturelle locale, mettant en lumière les initiatives, les créations et les voix qui font vibrer notre radio et le territoire.

| Par Petrouchka

Crédit image : Marco Proietto


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